Ceux qui connaissent peu ou qui ont à peine entendu parler des "
mormons " seraient sans doute étonnés d'apprendre que non seulement
les mormons font leur propre cinéma sachant qu'ils ont également
contribué à écrire parfois quelques grandes pages de l'histoire du
cinéma et ce depuis ses origines, depuis l'âge du cinéma muet. Ils
ont en effet collaboré de manière significative à certains
chef-d'œuvre du cinéma américain - quand j'utilise le mot "
significatif " je ne parle pas de comparses qui apparaitraient
parmi la foule à l'arrière-plan d'une image quelconque défilant sur
l'écran mais je pense surtout à des écrivains, des scénaristes, des
producteurs et parfois même des acteurs de renom. Cela va donc de
ce qu'on pourrait appeler le " Mormon touch " dans des classiques
tels que Casablanca avec le couple mythique Humphrey Bogart et
Ingrid Bergman à des films à grand spectacle, allant des films
traitant des thèmes religieux, style "Les 10 commandements " de
Cecil B. de Mille jusqu'à des films plus récents dirigés par Steven
Spielberg tels que Jurassic Park et Schindler's List. A propos des
" 10 commandements " il est intéressant de noter que le Livre de
Mormon a littéralement inspiré le film, non pas le contenu
lui-même, mais les 19 dessins faits par Arnold Friberg pour
illustrer certains événements clefs du Livre de Mormon. Ces dessins
avaient tellement impressionné le réalisateur, qu'il demanda à
Friberg d'assurer la direction artistique du film. Friberg
travailla sur le film pendant trois ans et les scènes, le " look ",
les costumes du film sont le résultat du travail qu'il effectua.
Cecil B. De Mille était à l'époque LE grand réalisateur de cinéma,
la référence absolue d'une certaine forme de cinéma typique des
années 40 et 50 qui se voulait populaire et ambitieux à la fois -
le Spielberg de l'époque en somme... Il avait toujours manifesté
une grande sympathie pour les membres de l'église de Jésus Christ
des Saints des Derniers Jours tant et si bien qu'un jour, il
prononça un discours à l'Université Brigham Young en Utah et
s'adressant au Président de l'église de l'époque, David O. McKay,
dit textuellement, en paraphrasant les mots du roi Agrippa adressés
à l'apôtre Paul qui se tenait devant lui : " David, Thou almost
make me a mormon "- " David, tu fais de moi presque un mormon ". Le
courant passait tellement bien entre lui et le prophète qu'à la
mort du réalisateur, on eut vent d'un mystérieux projet
cinématographique (surnommé Projet X) qu'il aurait voulu mettre en
images, un testament cinématographique en quelque sorte... Certains
membres de l'église se sont mis à rêver qu'il s'agissait là de
l'adaptation en images du Livre de Mormon - on sait aujourd'hui que
ce n'était pas le cas -, mais c'est là bien la preuve de la
véritable sympathie et du respect qu'il ressentait envers ce
mouvement religieux.
Les historiens et théoriciens du cinéma qui depuis quelque années
planchent sur l'histoire et l'évolution du cinéma mormon baptisé "
LDS Cinéma " aux Etats- Unis depuis quelques années, affirment
qu'en réalité, il y a eu 5 périodes - 5 vagues successives (chacune
durant plus ou moins 20 ans) qui se sont succédées depuis le début
de l'histoire du cinéma. Une analyse de ces différentes périodes
nous permet de mieux appréhender l'évolution de ce mouvement tout à
fait particulier et aussi de voir le niveau d'implication de
l'église d'abord et des membres de l'église eux-mêmes par la suite
dans le domaine de l'audiovisuel en général et du cinéma en
particulier. C'est le résultat, sans doute, de l'importance
accordée aux arts en général au sein de l'église et des
déclarations faites notamment par le Président Spencer W. Kimball
qui avait parlé de l'importance pour les membres de constamment
raffiner les talents liés aux arts et à l'audiovisuel, discours qui
a sonné un peu comme une trompette, un cri de ralliement pour
beaucoup d'artistes membres. Dans les années septante, on a vu les
premiers signes de cet intérêt croissant pour raconter des
histoires par le biais du cinéma et on a connu la toute première
maison de production fondée par des Mormons se lançant dans
l'industrie du cinéma. Il s'agissait alors de produire des films
familiaux, tirés d'histoires de la littérature pour l'enfance ou la
jeune adolescence se déroulant souvent dans des contrées sauvages
des Etats-Unis et qui eurent un succès discret mais assez remarqué
à l'époque.
Mais il n'y avait aucun message Mormon à proprement parlé dans ces
films.
Tout au plus, s'agissait-il de véhiculer certaines valeurs
auxquelles les mormons étaient attachés mais qui pouvaient être
appréciés par tous. Le film qui eut probablement le plus de succès
fut " Where the Wild Fern Grows ", tiré d'un livre de Sterling
North et qui fut réalisé par Norman Tokar qui était un des
réalisateurs attitrés de Disney à l'époque. Le cinéma Mormon,
jusqu'à ce qu'il convient d'appeler la 4éme vague - jusqu'en
1999/2000 donc - était surtout l'affaire de l'église elle-même, qui
non seulement produisait des films en interne, principalement à
l'usage des membres ou les missionnaires en fournissant des films
qui pouvaient servir de support pour des leçons données à l'église
ou montrés aux amis de l'église. Ceci dit, de manière relativement
régulière, l'église produisait des moyens métrages et des longs
métrages de bonne facture et qui faisaient appel à des moyens
financiers assez conséquents pour relater certains événements
historiques de l'église ou pour illustrer un principe de base de
l'évangile restauré. C'est au seuil du 21ème siècle que le grand
chamboulement est arrivé, c'est l'année où le film " God's Army "
(" L'armée de Dieu ") est présenté sur les grands écrans en Utah et
va provoquer toutes sortes de réactions, non dénuées de
controverses par ailleurs mais qui se révéleront, au demeurant,
très bénéfiques.
Alors pourquoi " controverse " ? D'abord parce qu'il s'agit là d'un
film réaliste qui traite de la vie de 4 missionnaires, mais qu'il
ne s'agit aucunement d'un film apologétique.
Le réalisateur est Richard Dutcher, qui un jour s'est dit qu'il
devait y avoir, d'un point de vue strictement numérique, assez de
Mormons en Amérique que pour justifier le financement d'un film
indépendant traitant sans ambages d'un thème mormon (et l'on peut
affirmer que la thématique missionnaire est vraiment une thématique
mormone par excellence, presque un sous-genre de ce mouvement).
Mais encore une fois, il ne s'agissait pas de créer un pamphlet en
image destiné à mettre en valeur des principes et des doctrines
véhiculés par l'église, il s'agissait avant tout de raconter une
histoire avec des jeunes relatant les hauts et les bas que
comportent la vie missionnaire, certains missionnaires étant par
ailleurs dans le questionnement. On sent que beaucoup d'épisodes
montrés à l'écran sont tirés de faits réels, quoique certainement
condensés pour des raisons proprement cinématographiques.
Le film est un succès ! Bien qu'ayant coûté 300.000 dollars, il en
rapportera plus de 2.500.000 au box-office et Richard Dutcher se
verra, par la suite, adoubé du titre de " Père du LDS Cinéma ". La
conséquence directe de ce succès, il faut bien le dire, est qu'un
signal puissant est envoyé parmi les réalisateurs en herbe
appartenant à l'église, à savoir qu'il y apparemment moyen de faire
des films mormons à l'intention principalement de mormons, de les
projeter dans de vraies salles de cinéma et obtenir du succès et
même de la reconnaissance et, qui sait, même pouvoir en vivre, ce
qui est bien entendu le désir naturel de chaque artiste. Cela va
finalement ouvrir la voie, donner l'aval à d'autres producteurs de
tenter leur chance également. On peut aisément comprendre que cela
ait fort intrigué la communauté mormone puisque, pour une fois, on
leur racontait une histoire mormone foncièrement dramatique de
surcroît - faite par des mormons pour des mormons. La question qui
s'est posée pratiquement dès le début était de savoir si on pouvait
faire des films à consonance résolument mormone tout en espérant
attirer le regard, voire l'intérêt, du non-membre. Et si oui, quel
genre d'histoires fallait-il raconter ? Des histoires qui mettent
en scène des mormons et ne s'offusquent pas de le faire (mais y a-
t-il alors un danger de prosélytisme déguisé ?) ou faire des films
destinés sur papier à attirer un large public mais qui
n'indiqueraient pas ou qu'en filigrane que le film a été conçu par
des mormons ? Deux cas de figure pour deux films qui ont connu un
relatif succès : " De l'autre côté du paradis ", l'histoire
véridique d'un jeune missionnaire se rendant sur les iles Tonga
dans les années 50 pour y accomplir sa mission. Le film deviendra
finalement un succès surtout par le fait qu'il sera acheté et même
doublé et mis en vente en vidéo dans plusieurs pays. On ne cache
absolument pas le fait que le protagoniste soit un mormon mais au
niveau du positionnement (si vous me permettez cette expression
marketing), il s'agissait surtout de mettre en valeur le côté "
coming of age " de l'histoire - l'adolescent, qui par ses
expériences, finit par acquérir plus de maturité, par grandir
personnellement et intellectuellement, et dans ce cas, on pourrait
ajouter " spirituellement " également bien entendu. Le film
bénéficie aussi d'un coup de chance au niveau du casting, le rôle
principal étant interprété par la jeune actrice Anne Hathaway qui
quelque temps plus tard obtiendra un joli succès dans la série de
films "Princesse malgré moi ", ce qui explique sans doute aussi
pourquoi ce sera la firme Disney qui aux Etats-Unis achètera les
droits de distribution en vidéo. Pour l'Europe, ce sera la
Paramount. L'autre film, c'est " Saints et Soldats ", film de
guerre basé sur un roman écrit par un membre et qui est vraiment on
ne peut plus " mormon " de par les personnes qui ont travaillé sur
le projet mais qui peut se voir sans savoir qu'il s'agit là d'un
film conçu par des membres de l'église. Le film gagnera toute une
série de prix dans différents festivals et sans doute lié au fait
que le film est censé se dérouler en Belgique (dans les Ardennes
plus précisément) il sera acheté en France et en Belgique pour une
mise en vente en vidéo et sera aussi diffusé sur plusieurs chaînes
de télévision. Il n'y a qu'une seule phrase prononcée dans le film
qui sert d'indication, à qui veut bien le comprendre, que le
personnage principal est un membre de l'église.
Ceci dit, cette " révélation " n'a rien d'anecdotique par rapport
au contenu et au message de l'histoire. Ces succès grandissants
fourniront l'occasion à Christian Vuissa de créer à Orem en Utah,
un festival du film mormon - le " LDS Film Festival " - vitrine des
dernières productions (court/ moyen/long métrage) faites par des
mormons et dont le " Festival du film mormon " à Bruxelles
s'inspire et se veut le modeste pendant. Le sentiment de nouveauté
s'étant quelque peu estompé (on sait maintenant que des
réalisateurs et des producteurs mormons existent et qu'ils ont
envie de raconter des histoires), le cinéma mormon est en train de
se définir et se redéfinir. J'aimerais surtout mettre l'accent sur
le travail extraordinaire fait par Christian Vuissa pour non
seulement mettre constamment en valeur ce cinéma tout à fait
particulier, mais pour le fait qu'il s'est construit un modèle de
cinéma tout à fait personnel, autant du point de vue du financement
que du contenu des histoires qu'il veut raconter et qui nous
permettent aujourd'hui (et j'espère que cela durera encore
longtemps !) de découvrir des récits centrés sur la vie de certains
mormons, plutôt que sur le mormonisme en général. Vuissa a fait
sienne une écriture tirée du Livre de Mormon qui indique que : "
C'est par de petites choses que l'on finira par accomplir des
grandes choses ". Christan Vuissa, grâce à ses deux dernières
productions qu'on a pu projeter à Bruxelles, Paris et Charleroi ("
Errands of Angels et " One Good Man "), offre des films que
j'appellerai " tranches de vie réalistes " et réussit à mettre en
image des situations qui relèvent l'essence de ce que cela signifie
que d'être un membre de l'église de Jésus-Christ des SDJ.
Ces dernières années, on a pu admirer des films mormons de
différents genres, allant du film de guerre à la saga, du
documentaire au film dramatique, du mélodrame à la comédie, du film
historique au film biographique. Les nouvelles technologies ouvrent
aussi des perspectives fort intéressantes; je pense notamment à la
série conçue spécialement pour Internet en 20 épisodes appelée "
The Book of Jeremiah " qui a été bien reçue par la critique et que
l'on peut suivre également sur YouTube. " ( Que) Vive le cinéma
Mormon " et " Longue vie au Cinéma Mormon donc !
Je suis persuadé que le meilleur reste encore à venir et des films
à venir tels que " 17 Miracles " et Joseph Smith " s'annoncent très
prometteurs.... Claude BERNARD
Créateur du " Festival du film mormon " à Bruxelles
Remarque concernant le nom de l’Église:Quand vous parlez de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, veuillez utiliser le nom complet de l’Église la première fois que vous la mentionnez. Pour avoir plus de renseignements sur l’utilisation du nom de l’Église, consultez notre Guide de rédaction.